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Newton et Leibniz, aux fondements de la pensée maçonnique.

Deux esprits universels « planaient sur les eaux » de la Franc-Maçonnerie, avant même la naissance de la Grande Loge Unie d’Angleterre (U.G.L.E.) en 1717 : Isaac Newton (1642-1727) et Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716). Tous deux furent membres de la « Royal Society » sous influence, à sa fondation en 1660, des doctrines des Rose-Croix et des alchimistes, où Newton présenta sa théorie de l’optique avant d’en devenir plus tard le président. Leibniz fut secrétaire de la « Société alchimique » des Rose-Croix de Nuremberg. Tous deux renouvelèrent en profondeur les connaissances en mathématique, physique, logique, philosophie, théologie, et notamment en mécanique et astronomie pour Newton, en droit, histoire, géographie, philologie pour Leibniz.

Leurs idées éclairent la création de la Grande Loge de Londres et de Wesminster (qui deviendra l’U.G.L.E.) par l’union de quatre Loges fondatrices, en ce que cette création est avant tout un « changement d’échelle » de la vie de ces Loges, chacune préservant à son « niveau » son identité et en même temps générant dans ce nouvel ensemble de nouvelles « obligations » regroupées dans les « Constitutions » d’Anderson publiées en 1723. Et ces deux niveaux d’existence des Loges se perpétuent, la Loge demeurant le creuset initiatique de chaque Frère et Sœur, quelle que soit son Obédience, et chaque Obédience se singularisant par ailleurs dans le « monde » maçonnique par ses obligations, règlements et constitutions. La Loge elle-même est le résultat d’un autre changement d’échelle dans la vie personnelle de ses membres, une correspondance existant entre le macrocosme d’une Loge et le microcosme des Maçons qui y travaillent.

Maçons, Loges, Obédiences, autant de « systèmes » en relations, comme emboîtés les uns dans les autres, reliés tout en gardant, chacun à son « niveau », ses devoirs et prérogatives, comme l’indique la racine grecque du mot système, « σύστημα, sústêma, organisation, ensemble », terme dérivé du verbe « συνίστημι, sunistēmi (de σύν ἵστημι, sun histēmi, établir avec), signifiant « mettre en rapport, instituer, établir ». Cette conception des systèmes « dérive » de la « monade » de Leibniz, qui est à l’image du tout dont elle fait partie et dont elle détient la mémoire profonde, chacune étant à la fois une monade et un composé de monades, chacune offrant un point de vue particulier sur le tout. La Maçonnerie remet en perspective ses « monades » : Maçons, Loges, et Obédiences, et place la Loge en un point symbolique médian de l’axe qui les relie, où s’effectuent les changements d’échelle entre le « tout » de l’Obédience et ses parties élémentaires, les Maçons.

Si les « règles » et unités de mesure de ces différents « niveaux » de connaissance et de conscience sont difficilement conciliables, et la démultiplication des Obédiences en témoigne, leur appréhension holistique par Leibniz et Newton surmonte le paradoxe apparent de leur coexistence. « Tous deux cultivaient une vision d’interconnexion holistique. Mais tandis que Newton pensait que la matière est faite de particules inconscientes s’attirant les unes les autres par attraction gravitationnelle, Leibniz estimait que les éléments ultimes de l’univers sont reliés par la conscience. Ces éléments ultimes, qu’il appelait « monades », sont à la fois des centres de forces physiques et des centres d’expériences mentales, et ils reflètent l’univers. Selon ses propres termes, « chaque monade est un miroir vivant représentatif de l’univers suivant son point de vue, et aussi réglé que l’univers lui-même. » Les monades ont deux qualités, la « perception » et l’« appétit ». Les perceptions provoquent les états internes et changeants des monades, elles naissent de leurs appétits, qui naissent eux-mêmes de leur désir de refléter l’univers. Les monades sont des unités de force et d’esprit, tandis que les particules de Newton ne sont que des centres de force inconscients. » (Sylvain Michelet, Réenchanter la science)

Au déisme de Newton qui « regardait l’Univers comme un cryptogramme composé par le Tout-Puissant. » (Lord Keynes) répond celui de Leibniz, pour qui « Dieu agit en parfait géomètre », déterminant deux types de déistes. Avec Newton, les premiers admettent l’existence d’un Etre suprême, éternel, infini, intelligent, créateur, conservateur et souverain maître de l’univers qui préside à tous les mouvements et à tous les événements qui en résultent, mais qui restreint son action à simplement s’assurer du bon fonctionnement de l’univers, sans se préoccuper des affaires humaines. Ils n’attendent donc aucune faveur de la Providence, et préfèrent s’abstenir de tout culte, quel qu’il soit. Leur Maçonnerie aura en priorité pour mission de propager les idées philosophiques défendues par la Royal Society, notamment la tolérance, la philanthropie, l’entraide, la liberté religieuse, les libertés individuelles, le cosmopolitisme et le progrès des sciences au profit de la société.

Pour les seconds, comme Leibniz, un Etre suprême, éternel, infini, et intelligent gouverne le monde avec ordre et sagesse, suivant dans sa conduite les règles immuables du vrai, de l’ordre et du bien moral, parce qu’il est la sagesse, la vérité, et la sainteté par essence. Les règles éternelles du bon ordre sont obligatoires pour tous les êtres raisonnables. L’Etre suprême n’est pas indifférent, mais intervient directement dans son œuvre pour l’orienter vers le bien. La nuance avec le théisme philosophique repose sur l’impossibilité de définir une interprétation universelle et intemporelle de la nature du bien et de la justice telle que conçue par l’Etre suprême[]. Les déistes de la seconde espèce pratiquent en priorité un « travail » spirituel individuel, dans le cadre d’une exploration personnelle du divin, pour être en « mesure » d’atteindre et dépasser les « niveaux » et « degrés » successifs d’un perfectionnement intérieur, et paradoxalement commun à tous les êtres engagés sur ce même chemin de perfectionnement : « c’est tout comme ici partout et toujours, aux degrés de grandeur et de perfection près » … « Les choses s’élèvent vers la perfection peu à peu et par degrés insensibles ; il est malaisé de dire où le sensible et le raisonnable commencent. » (Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain) Leibniz ouvre ainsi la voie aux initiateurs des futurs « degrés de Perfection » des Rites maçonniques.

Sa pensée « illustre » parfaitement le raisonnement par analogie, « régulièrement » mis en œuvre par les Maçons pour trouver des idées sous les symboles. Le rôle de l’analogie, du grec « ἀναλογία, analogia, proportion » désignant une similitude ou une égalité de rapports (ou raisons) entre des choses distinctes, est souligné par les racines du mot : « ἀνα, en haut » et « λόγος, logos, discours », désignant un discours relatif aux choses d’en haut. « Comparer, mettre en rapport, transférer, procéder par analogies sont autant de moyens de communication au sein de la connaissance humaine. Les analogies occupent ainsi une place prépondérante dans la méthode leibnizienne. Leur usage est en effet fructueux, en raison de leur considérable pouvoir heuristique, qui permet la formulation rapide d’hypothèses probables. L’analogie instaure une relation entre des idées, entre des êtres, établit entre eux une communication idéelle, sous forme de « rapport constant et réglé ». En outre, en vertu de cette puissance heuristique, l’analogie permet à la raison d’économiser ses efforts. Elle est une sorte de raccourci cognitif, de pont qui évite de rechercher longtemps un gué hypothétique. C’est ce qui fait toute sa valeur ; aux yeux de Leibniz, elle est « une conjecture ingénieuse » qui abrège beaucoup de chemin. » (Bertrand Simon, Leibniz et ses réseaux)

Le plus célèbre des rapports de proportions résultant d’un calcul analogique est « phi, φ, 1,618034 », « divine proportion », « section dorée », « nombre d’or » omniprésent dans l’étoile à cinq branches, l’« étoile flamboyante », vecteur de beauté et d’harmonie, et surtout révélateur de l’unité dans la multiplicité. « Si l’harmonie fait l’unité d’un divers toujours plus foisonnant, c’est à elle que l’on doit de sérier les êtres naturels, en les rangeant par degrés conjoints » (Dominique Berlioz, L’actualité de Leibniz) comme les Rites maçonniques tendent à regrouper les initiés par « degrés » de « perfectionnement ». L’harmonie devant régner entre les Maçons de degrés équivalents évite ainsi les regroupements impersonnels autour de doctrines politiques ou religieuses et d’abstractions anonymes. A ces « niveaux », toute discordance, vouée dans un système doctrinaire à la condamnation et à l’exclusion, donne au contraire « du relief à l’harmonie » d’un ensemble d’initiés de même niveau.

En Maçonnerie, l’« harmonie préétablie » de Leibniz semble « prédestinée » à sous-tendre les travaux en Loges de Perfection, et l’harmonie « à établir » de Newton « destinée » aux Loges symboliques. Aux premiers degrés des Rites, Newton le « maçon » construit un temple en empilant pierre sur pierre, que Leibniz le sculpteur sublime en recherchant ses formes cachées harmonieuses et préexistantes dans le cœur des Maçons, inspirant les degrés de la Maçonnerie Ecossaise. Dans ses « tracés » de Maître Maçon, Newton part d’un point pour tracer une courbe qui sera en accord avec la réalité expérimentale. Leibniz part de toutes les courbes possibles dans un plan et cherche les principes organisateurs d’une famille de courbes harmonieuses.

Mais la traduction de ces principes leibniziens en projets d’union politique ou religieuse, en réseaux d’idées surplombant les barrières nationales, linguistiques, confessionnelles, échouèrent face aux intérêts particuliers et à l’intransigeance dogmatique. A l’inverse, Newton réussit grâce à l’alliance, au sein de la Royal Society de la science à caractère technique avec le pouvoir politique qui devait favoriser l’efficacité et la productivité au profit de l’ensemble de la nation. Car elle admit en son sein des membres de toutes confessions religieuses et de toutes opinions politiques, des savants susceptibles de confronter rationnellement les résultats de leurs travaux et de surmonter leurs éventuelles divergences, tout en interdisant toutes discussions à caractère politique ou religieux, et en exigeant que tout désaccord sur des compte-rendus des travaux soit exprimé avec civilité. Ces règles seront reprises fidèlement dans les Constitutions rédigées par Anderson et Desaguliers.

Leur œuvre s’inscrit dans une Europe baroque caractérisée par « un bouillonnement d’idées, parfois confuses, souvent révolutionnaires, toujours cependant sur un arrière-plan de tradition. Les langages artistiques, philosophiques, scientifiques du Baroque révèlent l’usage d’une syntaxe certes nouvelle, mais opérant sur un vocabulaire de formes, d’idées, de conceptions en grande partie anciennes (comme l’alchimie et l’hermétisme). Cette bipolarité essentielle est à l’origine d’une tension fondamentale dans la manière de l’homme baroque de percevoir et de penser le monde, avec pour conséquences moins encore un clivage entre partisans de l’opinion reçue et tenants de l’esprit moderne, qu’un déchirement plus ou moins bien assumé à l’intérieur de chaque individu. » (H. Knecht, Essai sur le rationalisme baroque) Ainsi, Newton ne passa qu’une dizaine d’années aux travaux qui ont fait sa gloire, consacrant par ailleurs son temps à la théologie, l’alchimie et l’hermétisme qui le passionnaient.

La querelle sur l’invention du calcul infinitésimal qui opposa Leibniz et Newton conduit à séparer les mathématiciens du XVIIIème siècle en deux camps : les Britanniques, disciples de Newton, qui s’efforcèrent de diffuser et de perfectionner son calcul des fluxions, et les continentaux, fervents admirateurs de Leibniz, qui réussirent à développer considérablement le nouveau calcul suivant les principes et les notations mis au point par le célèbre philosophe et ses premiers disciples. Cette querelle autour de l’antériorité de l’invention a freiné la coopération scientifique internationale de l’époque, préfigurant les conflits d’influence entre les Maçonneries d’inspiration « Anglaise » et « Ecossaise » entravant leur coopération internationale. Mais ces conflits de basse politique ne sauraient masquer les liens profonds qui les unissent, le développement « harmonieux » de leurs deux « temps » d’initiation s’effectuant (de nos jours) à la fois dans les Loges symboliques aux trois premiers degrés des Rites et aux degrés suivants dans les Loges de Perfection, et ceci quels que soient les Rites.

1717, année de création de la Maçonnerie, s’écrit 17 deux fois, comme Newton Leibniz, l’un près de l’autre. Le nombre 17 est le symbole des mystères des prophètes (du grec προφήτης, profétès, docteur et interprète de la parole divine) selon Raban Maur, la « somme » des dix préceptes de la loi et des sept dons de l’Esprit. Cette « unité » de mesure spirituelle, opère en ceux et celles qui affrontent leurs propres mystères et n’hésitent pas à remettre en cause le confort intellectuel trompeur de leurs idées et croyances, quitte à subir l’ire de l’ordre établi. Dürer, graveur et mathématicien, a symbolisé dans le « carré magique » de sa gravure « MELENCOLIA I » la montée de la lumière initiatique par les nombres 17 et 34. (http://www.patrick-carre-poesie.net/spip.php?article1209) Newton et Leibniz illustrent cette montée de la lumière chez les Maçons, l’un pour toujours, l’autre à jamais …

Patrick Carré

Juin 2015




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